la culture à Avranches : un état des lieux accablant
« La culture c'est comme la confiture moins on en a en, plus on l'étale. ».
Cette citation de Françoise Sagan pourrait être facilement reprise concernant la politique culturelle menée sur la ville d'Avranches. Je développerai plus loin.
Ce billet fait suite à l'article paru ce week-end dans le quotidien Ouest-France concernant les élections municipales. Il traitait de la place de la culture à Avranches. Un état des lieux était dressé avec un constat : un manque de salle et « une offre très restreinte pour le public jeune. »
Les deux candidats aux municipales étaient invités à donner leur vision et à présenter leur projet.
Pour le maire sortant Guénhaël Huet, le bilan est positif : une saison culturelle municipale réussie en terme de fréquentation (9.000 spectateurs par an) mais aussi de proposition (diversité des spectacles, ...), un festival d'été prometteur. Son projet, s'il est réélu, est la continuité de l'existant avec la création « de nouveaux espaces culturels, intégrant éventuellement le cinéma. »
Son challenger, Jean-Pierre Gouédard, quant à lui, propose : « la réhabilitation du centre culturel (...) La salle de spectacle du théâtre doit être rénovée (...)
Il faut apporter une aide financière et logistique au projet culturel associatif (...)
Il faut dynamiser la fréquentation du Scriptorial : le chiffre réalisé pour l'année civile du 1er janvier au 31 décembre 2007 est de 37.000 entrées, au lieu des 70.000 visiteurs escomptés et nécessaire pour l'équilibre financier du fonctionnement du Scriptorial (...)
Réalisation d'une salle à l'échelon intercommunal voire intercantonal : le sud-Manche mériterait de disposer d'une salle pouvant accueillir des spectacles plus importants. »
Les candidats sont d'accord sur un point : il manque une salle de spectacle digne de ce nom sur Avranches mais diverge sur de nombreux points notamment sur l'offre culturelle.
Celle-ci doit revenir à la ville (Guénhaël Huet) alors qu'il semblerait qu'elle pourrait être partagé avec le secteur associatif selon Jean-Pierre Gouédard.
Guénhaël Huet défend le bilan de sa politique culturelle proposée essentiellement par la ville (saison culturelle) sur le quantitatif (le nombre important de spectateurs), masquant le fait que le milieu culturel associatif, à une ou deux exceptions près, est mort sur Avranches.
C'est là que la citation de Françoise Sagan prend tout son sens.
Un exemple? L'offre culturelle et de loisirs à destination du public jeune et moins jeune.
« Des images valent mieux qu'un grand discours » dit-on.
Je vous laisse regarder un reportage de France 3. Et on se retrouve après.
Les jeunes, excusez moi de l'expression, s '« emmerdent » à Avranches. « Cà bouge pas » disent-ils. Ils souhaitent quitter la ville, aller ailleurs, dans les grandes agglomérations où il y a plus d'animations.
Pas étonnant alors que la ville perde ses habitants (-270 habitants) et que la population vieillisse (+4,3 points) par rapport au recencement de 1999 (source INSEE).
Pourtant en début de mandat du maire le secteur associatif était particulièrement dynamique.
De nombreuses associations organisaient des spectacles en direction de ce public.
Citons, entre autre, l'association Warshaw Prod. qui chaque année produisait la valeureuse soirée « les instances du rock » au milieu de l'été sur la place du tribunal, l'association Kortex organisait des concerts en ville et sur le canton ou « Tapage Nocturne » qui avait une programmation musique actuelle intéressante et qui jouait un rôle social important en impliquant les jeunes des quartiers et des personnes en recherche d'emploi.
Que sont-elles devenues?
Mort, mort et mort !!!!!
Pourquoi? démotivées, non soutenues, non reconnues par la municipalité sortante.
Il existe une autre association qui s'est impliquée pour animer culturellement la ville et ses alentours.
Cette association, je la connais bien puisque j'ai été l'un des fondateurs : l'association Barbacane.
Elle est actuellement en sommeil en attendant des jours meilleurs.
C'est son histoire que je vais vous narrer en espérant ne pas être trop ennuyeux.
Il était donc une fois ...
... deux jeunes hommes (à l'époque), habitants la vieille-ville d'Avranches, qui ont souhaité en 2001 rapprocher ses habitants, créer du lien social, à l'occasion d'un repas de quartier (pour la petite histoire c'est à l'occasion de ce banquet que j'ai rencontré mon amie).
Une association, appelée donc Barbacane (du nom d'une ancienne tour existante à l'entrée du quartier) fût créée pour l'organisation.
Le succès fut total et le banquet renouvelé. D'autres quartiers ont pris son exemple en organisant eux aussi des repas entre riverains.
Très rapidement les membres de l'association eurent envie de développer des projets culturels sur Avranches. Le plus important d'entre-eux a été le festival anglo-normand Equinox.
La liens historiques entre les deux territoires, la présence importante d'une communauté britannique dans le sud-Manche et l'absence de tout évènement en Normandie en ce domaine ont motivé les membres de l'association d'organiser cette manifestation originale.
Ayant quelques compétences dans l' « évènementiel » pour avoir été un membre très actif de l'association Chauffer dans la Noirceur organisatrice du festival éponyme à Montmartin sur mer, il ne fut pas difficile d'organiser la première édition du festival Equinox en avril 2002.
Au programme : concerts (groupes anglais Tarantism et normands Kowishan, No-Vice), expositions au théâtre et à l'hôpital (David Lewis), conférences (Christopher Long, ...), randonnée chantée (la Loure) , cinéma, spectacles de rue ... le tout sur plusieurs communes du sud-Manche : Avranches principalement, le Val-St-Père, la Gohannière, et la Roche qui Boit à St-Laurent de Terregatte.
Le film programmé dans le cadre du festival en accord avec le cinéma d'Avranches était un long métrage anglais récemment sortie en salle : The Navigators de Ken Loach.
Eut égard au thème du film, la libéralisation du secteur ferroviaire en Angleterre, il nous semblait pertinent d'organiser un débat à l'issue de la projection. Recherchant une personne qualifiée sur ce domaine et ne disposant pas de budget pour faire venir une personnalité (journaliste, économiste, ...) de Paris ou d'ailleurs, nous avons pensé à François Dufour, agriculteur exploitant à proximité d'Avranches (Saint-Senier-en-Beuvron), syndicaliste et membre d'ATTAC pour animer le débat, en collaboration avec Sarah Jacquiery, anglaise et membre de l'association.
Mal nous en a pris.
A la connaissance de la venue de M. Dufour quelques jours avant le festival, le maire d'Avranches Guénhaël Huet a eu comme un coup de sang.
Il n'a pas du tout apprécié la venue de cette personnalité.
A deux reprises, le maire m'a téléphoné, me reprochant de ne pas l'avoir prévenu, qualifiant l'évènement de « festival non culturel, mais politique !!! ». Le tout dans des termes fort peu courtois.
Je n'ai pas pu m'expliquer ne pouvant avoir la parole.
C'était bien la première fois que je me faisais traiter ainsi par une personne, un élu de surcroît.
En tant que bénévole, souhaitant animer culturellement la ville, ne comptant ni mon temps, ni mon argent (les membres d'associations me comprendront) je trouvais cette attitude assez déplacée.
Par ailleurs, j'étais sidéré d'apprendre que nous devions faire viser la programmation par un élu. Une première.
Aucune structure associative ou autre ne présente sa programmation à la sanction de son maire sauf peut-être à Vitrolles ou à Toulon le siècle dernier.
Ne pouvant être reçu, un courrier a été adressé à l'élu pour expliquer ce malentendu ... que l'association allait payer cash ...
Descente de gendarmerie sur le lieu de travail d'un membre de l'association au motif ... que la randonnée chantée prévue dans le festival était soi-disant une manifestation de la Confédération Paysanne (syndicat de M. Dufour); ce qui était faux naturellement. Nous y reviendrons.
Le festival était menacé de ne pas recevoir la subvention promise (1.500€). Le nom de l'association fut l'objet d'un mauvais jeu de mot « Barb'ATTAC ».
Et consigne fut donner aux conseillers municipaux de la majorité municipale de ne pas se déplacer au vernissage de l'exposition organisée au théâtre.
En effet aucun élu de la majorité ne fût présent, encore moins l'adjointe à la culture.
Le clou du festival a été la randonnée chantée animée par le groupe la Loure qui s'est déroulée sur la commune rurale de la Gohannière.
Accrochez vous.
Au retour de la promenade, un goûter fut offert aux randonneurs. Les participants ont eu la surprise de voire passer un véhicule de la gendarmerie sur la place de la mairie où avait lieu la collation. J'ai appris que le soir même par un journaliste présent au départ de la randonnée qu'un véhicule de la police nationale était planqué dans un chemin à nous observer.
Il ne manquait plus qu'un avion de reconnaisance AWACS ou un satelite d'observation (espion) pour couronner le tout ...
Il nous en fallait un plus que cela pour nous démotiver.
Cette édition était un succès. Le bilan moral et financier était positif (le festival avait rencontré son public et un bénéfice substantiel s'était dégagé à l'issue de la manifestation).
De quoi envisager avec sérénité une seconde édition en 2003.
Pour cette édition, nous avons rencontré le maire, ré-expliquant le malentendu et afin de présenter les grandes lignes de l'édition à venir et solliciter un soutien financier et technique .
Un des temps forts de ce festival a été le direct de France 3 Normandie à Avranches place de la mairie à travers l'émission "Télépomme". Son producteur, Richard Plumet, avait répondu favorablement à l'invitation du festival.
Le maire était présent à mes cotés sur le plateau télé expliquant entre-autre le grand projet en cours : le musée des manuscrits du Mont-Saint-Michel pas encore dénommé Scriptorial.
Avant le direct, le festival avait animé gratuitement la place de la mairie avec deux spectacles de rue : Joe Sature compagnie normande et Tragic formation anglaise.
Pour information, la subvention de la ville renouvelée du même montant que l'année passée ne couvrait pas les cachets, déplacement et hébergement de la troupe anglaise.
Le festival a assuré la promotion de la ville à coût quasiment à zéro pour la municipalité par le direct d'une télévision régionale.
Le festival espérait à un geste financier. 1.500€ c'est assez. Circulez y a rien à voir !!!
La couverture médiatique du festival était importante : télévisions, radios et une abondance d'articles dans la presse nationale (Libération, ...), régionale et locale.
La revue de presse est disponible en fin de cet article.
Une troisième édition, moins ambitieuse que la précédente décevante financièrement, et recentrée sur Avranches se déroula en 2004.
Ce sera la dernière.
Assez tôt, en janvier, une liste des besoins (réservation de salles) a été remise au maire à l'Hôtel de ville.
Nous pensions qu'elle serait dispatchée sur l'ensemble des services municipaux. Fatale erreur.
Précisons qu'à aucun moment l'adjointe à la culture, Mme Doublet n'était présente à ces réunions; ce qui est surprenant.
Le festival avait demandé la mise à disposition de la salle d'exposition de l'office du tourisme pour une présentation de toiles peintes par un anglais avranchois et la réservation de la salle Victor Hugo, près du jardin des Plantes pour un banquet anglo-normand.
Là le ciel nous est tombé sur la tête.
La responsable de l'office du tourisme n'avait jamais reçu la demande de réservation et avait prêté la salle à une autre structure.
Ne trouvant pas d'autres lieux malgré de nombreuses recherches, l'exposition a dû être annulée alors qu'elle était annoncée sur nos supports de communication. Le vernissage prévu avec l'invitation de nos partenaires financiers n'a pu se faire.
La crédibilité du festival était compromise vis-à-vis du peintre sollicité, de nos partenaires et sponsors, des médias et du public.
Quant au banquet anglo-normand, une des principales sources de recettes, il a été à deux doigts d'être annulé. Personne à la mairie n'était au courant.
C'est à la dernière minute que nous avons eu le contrat de location nécessaire pour les assurances.
Ces évènements ont été la goute d'eau qui a fait déborder le vase.
Ce n'était plus possible de faire quoi que ce soit sur la commune d'Avranches même avec la meilleure volonté du monde.
La saison culturelle d'une ville peut être déficitaire, c'est les contribuables qui paient. Pour une association, en cas de « bouillon », ce sont ses dirigeants qui sont en première ligne des créanciers et leurs biens menacés.
Il n'était plus question, par désinvolture, incompétence ou autre de nos élus de se mettre en danger.
Par ailleurs, le moral des membres était atteint et l'envie moindre. Le bénévolat a ses limites.
On a préféré suspendre l'organisation de cet évènement ... en attendant des jours meilleurs.
C'est dommage car il y a avait une démarche intéressante dans ce festival. La volonté de renouer en local les liens ancestraux entre le Royaume-uni et la Normandie, d'impliquer et d'intégrer les citoyens britanniques, nombreux sur ce territoire, à travers une multitude d'animations.
Notre action était pourtant reconnue par l'ensemble des institutionnels, les professionnels et le public.
Pourquoi la sauce n'a pas pris à Avranches?
Le maire sortant semble se méfier des associations qu'il ne peut contrôler.
Il distribue des subventions (faibles) aux associations pour ne pas faire l'objet de reproche. Sans les tuer, il les fait mourir à petit feu. Ces structures ne peuvent rien entreprendre sauf à se mettre en danger financièrement. Et si l'aide technique de la ville vient à faillir, c'est la catastrophe assurée.
En tout état de cause c'est le découragement et la lassitude des bénévoles.
J'ai l'impression, mais je peux me tromper, que le maire ne supportait pas que ces associations concurrencent l'offre culturelle de la ville. Pour l'intéressé, la culture doit être principalement municipale et rien ne doit lui faire de l'ombre. Ceci pourrait expliquer certainement cela.
Par ailleurs la méthode de travail du maire est contestable. A vouloir tout concentrer, tout régenter, tout maîtriser des impairs se produisent. L'association Barbacane en a été victime, mais si elle avait été la seule ...
Notre élu devrait savoir l'importance de la culture pour une commune. Elle valorise son image, attire des entreprises, des habitants ... Elle a au final un impact économique important.
Il devrait au contraire soutenir les actions menées par le secteur associatif qui viennent en complément de l'offre municipale.
Son coût est marginal par rapport aux effets engendrés.
Prenez l'exemple du festival Papillons de Nuit. Aucune municipalité ne pourrait organiser en régie une telle manifestation au regard du nombre de salariés qu'il faudrait rémunérer.
Le bénévolat a dû bon pour une ville, c'est pourquoi il faut soutenir le milieu culturel associatif.
Ce n'est pas le cas sur Avranches.
Je sais dimanche prochain pour qui je ne voterai pas.
François Groualle
rue de Geole
la revue de presse du festival anglo-normand Equinox, édition 2003
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